Les origines de la Confrérie se perdent au cours des décennies. La tradition orale rapporte qu’il s’agissait au départ d’hommes de bonne volonté, d’obédience chrétienne, réunis autour du curé de la paroisse pour organiser et assurer la pérennité du grand Tour, procession multiséculaire dont nous avons parlé au chapitre Patrimoine, qui avait lieu le jeudi suivant la fête de la Pentecôte, soit le jeudi précédant celle de Mons.
La preuve indubitable la plus ancienne de l’existence de la Confrérie Saint-Symphorien que nous ayons trouvée réside dans une matrice cadastrale datant de 1860 environ (matrice et plan cadastral du sieur POPP que nous avons évoqués au chapitre Cartes et Plans). Ladite matrice atteste qu’à l’époque, la Confrérie était propriétaire de trois petits terrains au sein du village.
Il nous a été donné de consulter les archives d’une illustre famille symphorinoise dont plusieurs membres exercèrent des mandats publics au sein du village, la famille MARCQ. Nous avons pu également rencontrer l’abbé Jean-Pierre MARCQ (né en 1924) dont il est également question au chapitre Patrimoine (Images du passé – Souvenirs anciens). Ni la mémoire écrite ni la mémoire vivante n’ont pu nous fournir plus de précisions quant à la naissance de la Confrérie.
La relation que nous allons faire du grand Tour tel qu’il se déroulait au XIXème siècle nous permettra de faire plus ample connaissance avec la Confrérie. Le compte-rendu qui suit est largement inspiré d’un petit mémoire rédigé par Monsieur Arthur DURANT, ancien enfant de coeur de Saint-Symphorien, écrit en mars 1944 et dédié « à la vénérable mémoire » de sa mère, Pauline MANDERLIER . Le Tour tel qu’il y est décrit se déroule à la fin du XIXème siècle. Les illustrations, quoique anciennes, ne sont pas d’époque. Voici le texte sous une forme quelque peu remaniée et enrichie d’autres sources :
Depuis de nombreuses semaines déjà, les membres de la Confrérie Saint-Symphorien se sont réunis comme à l’accoutumée pour distribuer les tâches dans l’organisation de cette grande procession : un Comité du Tour en quelque sorte. Aucun détail ne doit être laissé au hasard. Les saints qui seront processionnés feront l’objet d’une minutieuse inspection, la Châsse sera sertie sur son socle de transport, le garde-champêtre et ses collègues tenus informés de même que les sapeurs pompiers qui interviendront en cours de procession.
Le grand jour est arrivé. Depuis une semaine, les façades des maisons ont été badigeonnées, les volets repeints, les trottoirs désherbés. L’antique société des archers de Saint-Sébastien a procédé à l’abatage de l’oiseau le lundi de la Pentecôte sur la vieille perche plantée au milieu de la Place. Son Roi portera fièrement le collier de la société durant le Tour. Les invitations ont été faites aux amis et aux anciens symphorinois qui ont quitté depuis longtemps le village mais qui reviennent avec grande joie pour » se mettre à table le jour du Tour « . Enfin, les ménagères ont mis le feu au four et les tartes sont presque cuites.
Les enfants de coeur sont au poste dès quatre heures trente du matin pour l’ouverture de l’église. L’abbé BARBE (curé de Saint-Symphorien de 1894 à 1905) et un autre prêtre venu la veille loger à la cure, sont également présents. Le curé de Spiennes, l’abbé HESSLER, arrive pour représenter notre curé durant la longue marche de quinze kilomètres car ce dernier, rhumatisant, est incapable d’assurer une telle tâche. Un prêtre se place au banc de communion et un autre à l’autel du Saint Patron, chacun assisté de deux servants. Ceux-ci dérouleront sur la tête des pèlerins agenouillés une longue étole pendant qu’un prêtre lira l’évangile selon Saint-Jean » In principio » et donnera la relique à baiser – » Sancte Symphoriano Martyris O.P.N « . Les plateaux sont présentés pour l’offrande. Sont également présents le sieur BUSIAU qui s’est occupé d’allumer les bougies, une autre personne qui s’occupe de la vente de celles-ci et des objets religieux derrière un petit comptoir, et enfin une ménagère qui viendra de temps en temps ramasser les pipis dont un grand nombre d’enfants ne manqueront pas d’arroser le pavement de l’église. Le sol est d’ailleurs recouvert d’une épaisse couche de sable qui recevra également les coulées des bougies et les débris de celles-ci. Les saints qui feront le Tour sont placés sur leurs civières elles-mêmes posées sur des tables : La Vierge, St-Symphorien, La Châsse, St-Roch. La Vierge se trouve dans le coeur, à gauche, sur une civière garnie de quatre énormes plumets blancs en duvet de cygne et, au sommet, une étoile. Elle a revêtu sa toilette du Tour : robe blanche avec soutaches bleues et est parée de ses bijoux, souvenirs d’Epinlieu : une couronne et un sceptre pour la Vierge et une couronne et une mappemonde pour l’Enfant Jésus, le tout en argent. La Châsse se trouve à nu sur sa civière à baldaquin garnie d’une étole-ceinture rouge et jaune. Elle est couverte d’une couche de badigeon or terni qui a nivelé les ciselures et recouvert les émaux. Les pèlerins après avoir accompli leur devoir à l’autel viennent frotter les saints avec des mouchoirs et font à l’intérieur ou mieux à l’extérieur de l’église, trois fois le tour. A dix minutes avant cinq heures, les servants disponibles font sonner Angeline dont les cordes se trouvent à l’entrée du portail. A cinq heures, messe basse. Les pèlerins commencent à arriver. Ils attachent aux saints des ex-votos en cire et Saint-Symphorien surtout apparaîtra au départ chargé de jambes, pieds, bras et mains en cire, en remerciement d’une guérison obtenue. Arrivent deux jeunes-gens qui porteront la croix de cuivre et deux sonneurs qui tinteront Angéline au quart avant six heures et prendront ensuite possession de Marie-Françoise laquelle, à six heures, sonnera à toute volée pour saluer le départ de la procession.
Le cortège s’ébranle : St-Roch, St-Symphorien, la Châsse. Le clergé porte le reliquaire en croix, en argent du XVIIème siècle. La Vierge est portée par des jeunes-filles en voile blanc. Des cavaliers escortent les saints, d’autres suivront et enfin des charrettes, voitures de maîtres, pèlerins, … Le cortège emprunte au sortir de l’église l’allée garnie de tilleuls, les saints – surtout la Vierge – étant portés à bras pour ce passage.
Le spectacle est pittoresque. Des mendiants placés dans le vieux cimetière autour de l’église demandent l’aumône. Sur la place et principalement le long des deux côtés de l’allée des boutiques se sont montées, surmontées de toiles blanches, vendant des bonbons, caramels renfermant dans les plis de leur emballage, un petit billet-horoscope, soufflettes, saucisses de Boulogne, ballons et jouets divers. Des camelots vendent des images et autres objets bénits et des remèdes dont ils vantent bruyamment les vertus. Des véhicules attendent que leurs occupants aient terminé leurs dévotions ; les chevaux passent leur temps en broutant l’herbe attachée aux arbres de la place ; des pèlerins y déjeunent, des mamans endorment leurs enfants, d’autres enfin les allaitent.
Tandis que la procession suit son cours, à l’église, c’est le vacarme dû aux cris et aux pleurs des enfants et le départ inattendu de ballons qui se collent aux volutes. Marie-Françoise sonnera de demi en demi heures pendant toute la durée du parcours. Sept heures, messe basse ; c’est la cohue : les pèlerins affluent et un tram spécial vient de décharger ses passagers. Sept heures et demi, déjeuner à tour de rôle à la cure : pain beurré et café noir.
Pendant ce temps, la procession continue sa progression. L’itinéraire suit scrupuleusement, sur un parcours de 15 kilomètres, le périmètre du village. Certains enfants sont invités à se cogner la tête contre les bornes marquant le territoire du village pour bien s’imprégner de ses limites. A la barrière de Spiennes, repos : les saints sont déposés sur des tables et les maisons au carrefour accueillent ceux qui font » leur Tour « . On y déjeune et les chevaux reçoivent leur picotin. Vers huit heures et demie, nouveau départ par la route de Beaumont, le tienne Saint-Pierre, le chemin à Vaches pour aboutir à la Grand’ Route, au dessus de la Crémerie.
A l’église ce sont les heures de pointe : le nombre des pèlerins est grand. Neuf heures : branle-bas sur la place ; le tambour appelle les musiciens qui se rangent derrière leur drapeau, souvenir du Baron de Saint-Symphorien et s’éloignent par le Petit Pavé jouant des pas redoublés. Un autre tambour appelle aussi les » capitaines » à leurs fonctions pour aller donner les aubades et inviter à la danse dans toutes les maisons du village. Ils portent une casquette de couleur, une ceinture tricolore et une canne. Leur orchestre débite des polkas, des mazurkas, des valses et des scottischs.
Aux écoles, une petite procession se forme avec les instituteurs, Enfant Jésus dans sa crèche, Sainte Catherine toute petite en toilette, couronne en tête, fleurs et guirlandes. Des mamans viennent se joindre au petit groupe avec leurs enfants.
Les symphorinois ferment leurs portes pour suivre la musique. La foule grossit et monte la chaussée allant à la rencontre de la procession. Des barrières ont été élevées de distance en distance sur le parcours du cortège et les sapeurs venus de Mons ouvrent la marche et donnent l’assaut aux embuscades lesquelles figurent Satan opposé aux saints de Dieu. Les » mameloucks » ont dressé ces barrières et les sapeurs doivent les détruirent à coup de hache pour livrer passage au cortège. Parmi celui-ci, on reconnaît encore la compagnie » des Cousses « , sarrau bleu, casquette de soie avec mouchoir rouge au cou et leur drapeau de Notre Dame des Victoires, de 1848, dont on ne retrouve pas la trace. Présente également la société des archers de Saint-Sébastien avec son Roi portant son précieux collier et le vénérable drapeau, relique dont la soie jaune se désagrège par vétusté. De nombreux groupements étrangers se sont joints à la procession ; un concours doté de prix (médailles en argent) est organisé entre les sociétés les plus éloignées et les plus nombreuses. Le village de Nimy a fourni son contingent de cavaliers.
La procession se compose à présent d’un cortège mi-religieux mi-profane qui n’est pas sans rappeler les Marches de l’Entre Sambre et Meuse.
La musique est au poste à la Grand’ Route et le clergé entonne un Te Deum bientôt couvert par les nombreux autres sons du cortège bigarré. La petite suite des écoles va bientôt se joindre à lui. La foule grossit au fur et à mesure qu’on se rapproche du village. La Châsse attire tous les regards.
Vers onze heures, Saint-Symphorien porté par quatre membres de sa Confrérie fait une entrée triomphale dans son église aux sons des fanfares et de la grosse cloche. L’église ne peut pas contenir toute cette foule immense. L’air y est vicié par la fumée des bougies. Quatre prêtres à l’autel ont revêtu le vieil ornement du drap d’or. Messe de la Pentecôte avec Veni Creator et offrande interminable se prolongeant après la messe.
Après l’office, les chevaux de bois se mettent à tourner. Symphorinois et invités offrent des tournées dans les cabarets du village en attendant l’heure tardive du dîner où tous seront réunis. Après-midi, concert et jeu de balle pelote. Vers 19.00 heures bal en plein air des capitaines et ensuite bals dans » les salons « .
Le grand Tour a eu lieu. La fête au village également. Repos mérité pour les membres de la Confrérie Saint-Symphorien.
EN VOILA POUR UN AN.
Merveilleux retour dans le passé, un passé simple où sacré et profane se mélangeaient au quotidien.
Il faut bien reconnaître que la réalité a bien changé depuis lors. Le grand Tour ne réunit plus aujourd’hui la grande foule.
La Confrérie Saint-Symphorien est confrontée à un problème de taille : comment perpétuer la tradition du Tour au XXIème siècle ? Au risque de disparaître à moyen terme, le Tour doit être adapté. Il n’est plus réaliste de réunir en milieu de semaine des milliers de personnes (au XIXème siècle, les entreprises de la région symphorinoise acceptaient de fermer leurs portes le jeudi du Tour). Ne faut-il pas le mettre en perspective avec la seconde » petite » procession, celle du quatrième dimanche du mois d’août (fête patronale du 23 août) ? La tâche de la Confrérie ne sera pas simple. Elle s’est, par ailleurs, lancée un autre défi : devenir un lieu de vie au sein du village. Plusieurs projets sont sur les voies. Première réalisation : le retour du mégalithe, symbole néolithique de pèlerinages, sur la place de Saint-Symphorien. Il était » égaré » depuis plus de cinquante ans au fin fond du Jardin du Mayeur à Mons (cf . le chapitre Patrimoine – rubrique Le mégalithe du village).
Pour terminer, quelques photographies de la « petite » Procession qui se déroula le dimanche 28 août 2005 attirant une foule nombreuse, preuve s’il en est de la ferveur populaire. Certes, le temps était de la partie. Normal, me direz vous : « le bon Dieu est montois ».
©Texte de Bernard Detry